L’addiction aux écrans : opium du poulpe ?

L’addiction aux écrans : opium du poulpe ?

Consulter ses messages au réveil, s’évader sur internet dans les transports en commun, jongler entre emails et visioconférences au boulot, visionner une série durant des heures, scroller une dernière fois sur son smartphone avant de dormir… sont des réflexes routiniers pour beaucoup d’entre nous.

En moyenne, les Français passeraient 20 heures par semaine sur les écrans dans le cadre de leur activité professionnelle, et 36 heures pendant leur temps libre.¹ Cela représente 28 années en ligne, pour une durée de vie d’environ 82 ans.

Cette hyperconnexion n’est pas sans conséquence, d’où l’émergence ces dernières années de l’expression « addiction aux écrans » dans le débat public. Pouvons-nous parler d’une « addiction aux écrans », au sens psychiatrique du terme ? Quels sont les autres effets délétères liés aux écrans ? Nous vous livrons dans cet article les clés pour assainir votre rapport aux écrans et atténuer leurs conséquences pernicieuses.

L’addiction aux écrans : un sujet controversé

L’addiction a été définie en 1990 par le psychiatre Aviel Goodman comme « un processus par lequel un comportement, qui peut fonctionner à la fois pour produire du plaisir et pour soulager un malaise intérieur, est utilisé sous un mode caractérisé par l’échec répété dans le contrôle de ce comportement et la persistance de ce comportement en dépit de conséquences négatives significatives ».

Le comportement peut être la consommation de substances psychoactives (alcool, tabac, opiacés, médicaments, etc.), on parle alors de « trouble lié à l’usage de substances psychoactives ». Mais il existe aussi des addictions sans substance ou « addictions comportementales ». A ce jour, la Classification internationale des maladies (CIM) retient seulement deux formes d’addictions comportementales : les jeux d’argent et, depuis 2022, les jeux vidéo.

L’addiction aux écrans est absente de cette liste du fait que l’écran agisse à la fois en objet de l’addiction et en facilitateur d’autres addictions ou de comportements fâcheux tels que l’usage problématique des médias sociaux ou de la pornographie, le trouble de l’achat compulsif, etc.

Les signes d’une addiction aux écrans

Une équipe de chercheurs du laboratoire SANPSY de l’Université de Bordeaux et du CNRS ont étudié l’addiction aux écrans pour en démontrer la réalité.² Ils ont établi un outil de diagnostic reposant sur 9 critères :

1 - Passez-vous beaucoup de temps à penser aux écrans, y compris quand vous ne les utilisez pas ?

2 - Lorsque vous tentez de réduire votre utilisation des écrans, vous sentez-vous agité, irritable, d’humeur changeante, anxieux ou triste ?

3 - Ressentez-vous le besoin d’utiliser les écrans toujours plus longtemps pour obtenir le même état d’excitation qu’auparavant ?

4 - Avez-vous l’impression que vous n’arrivez pas à réduire votre usage des écrans, malgré des efforts répétés ?

5 - Avez-vous perdu l’intérêt ou réduit votre participation à d’autres activités (vos loisirs, vos amis) à cause des écrans ?

6 - Avez-vous continué à utiliser des écrans, tout en sachant que cela entraîne chez vous des problèmes (ne pas dormir assez, être en retard à l’école/au travail, dépenser trop d’argent, se disputer, négliger des choses importantes à faire) ?

7 - Vous arrive-t-il de cacher aux autres, votre famille, vos amis, à quel point vous utilisez les écrans ou de mentir sur vos habitudes ?

8 - Avez-vous utilisé des écrans pour échapper à des problèmes personnels ou pour soulager un sentiment de mal-être, d’insatisfaction, de tristesse, voire d’anxiété et d’accès de colère ?

9 - Avez-vous mis en danger ou perdu une relation affective importante, un emploi, ou des possibilités d’études à cause de l’usage d’écrans ?

Pour que l’addiction aux écrans soit médicalement qualifiée, il faut que 5 des 9 critères soient présents. Un bon moyen de vous situer par rapport à ces critères, d’évaluer vos risques et d’agir en prévention, est d’utiliser l’application mobile Kanopée, développée par les chercheurs bordelais en marge de cette étude.

Des effets néfastes pour la santé

Un usage abusif des écrans peut avoir des répercussions néfastes comme des symptômes de déficit d’attention, une intelligence émotionnelle et sociale altérée ou un développement cérébral dégradé. Des troubles du sommeil peuvent également apparaître du fait que la lumière bleue émise par les écrans bloque la production de mélatonine, l’hormone du sommeil, tandis que les activités sur écrans maintiennent notre cerveau dans un état d’excitation intellectuelle.³

D’autres effets délétères sont à signaler. Pour les yeux, la lumière bleue augmente également le risque de survenue d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), une dégradation d’une partie de la rétine (la macula), pouvant mener à la perte de la vision centrale.⁴ Des mauvaises postures prolongées peuvent provoquer l’apparition de troubles musculo squelettiques, en particulier au niveau de la nuque, des épaules, de la région lombaire, des poignets et des mains.⁵

Alors, que faire ?

Afin de limiter les risques liés aux écrans, il est possible d’agir par plusieurs gestes simples : désactiver certaines notifications, supprimer les applications chronophages, bannir les écrans de sa chambre après 21h, prévoir un temps sans écran chaque soir (lecture, méditation…) avant de s’endormir, etc.

Dans le contexte professionnel, une bonne pratique consiste à mettre en place des rituels pour garantir une véritable déconnexion et s’épanouir au quotidien. Cette recommandation est d’autant plus valable que notre usage des écrans s’est considérablement renforcé avec l’essor du télétravail.

A l’heure où, tels des poulpes disposant de cerveaux secondaires dans chaque tentacule, chacun d’entre nous détient un écran à portée de main, il faut garder en tête que l’utilisation d’un écran n’est pas dangereuse en soi. Seule l’utilisation intempestive l’est.

¹ Étude réalisée par NordVPN en juin 2021 sur 5000 adultes dans quatre pays

² Université de Bordeaux, Addiction aux écrans, mythe ou réalité ?

³ Gary W. Small, Jooyeon Lee, Aaron Kaufman, Jason Jalil, Prabha Siddarth, Himaja Gaddipati, Teena D. Moody & Susan Y. Bookheimer (2020) Brain health consequences of digital technology use

⁴ ANSES, LED : les recommandations de l’Anses pour limiter l’exposition à la lumière bleue

⁵ INRS, Dossier Travail sur Ecran

Dernière modification : 2024-01-10 21h56