Comment créer un espace de coworking où il fait vraiment bon travailler ? Nous avons posé la question à Sylvie De Jesus, fondatrice d’Univers CO. Ergonome de formation, elle a mis 25 ans d'expertise en qualité de vie au travail au service de son projet : le premier espace de coworking du Creusot. Un témoignage riche d’enseignements sur la création, la gestion et l'animation d'un coworking pensé pour l'humain.
Bonjour Sylvie, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Sylvie, la fondatrice d’Univers CO, une structure que j’ai créée en 2020, qui a donné naissance à l’espace de coworking du même nom au Creusot en 2021. J’ai également une activité de conseil en organisation et qualité de vie au travail, mon premier métier, que j’exerce depuis 25 ans.
Quelles étaient vos motivations pour lancer Univers CO ?
J’avais envie de me lancer de nouveaux challenges, notamment celui de l’entreprenariat.
Je souhaitais poursuivre mon métier de consultante en qualité de vie au travail, mais j’avais envie d’animer un lieu qui favorise les mises en relation, les synergies et le lien social. Un lieu de travail également, dans les meilleures conditions.
C’est pourquoi QVCT (Qualité de vie et des conditions de travail) et coopération sont les deux fils rouges à la fois de l’espace de coworking, mais aussi de mon activité de conseil. Ce sont les deux thématiques qui lient mes différents univers.
Quelles ont été les grandes étapes de création de l’espace ?
L'idée d'ouvrir un espace de coworking m'est venue il y a six ans, à la suite d'une formation. J’avais eu l'occasion de visiter différents lieux et j'ai cherché à analyser les conditions qui permettent à plusieurs entreprises de coopérer au sein d'un même espace. C’est ce qui m’a finalement donné l’envie et l’idée de me lancer.
Ensuite, il y a eu la phase de faisabilité du projet, d'un point de vue économique mais aussi personnel, pour l'intégrer à mon projet de vie. Cette étape a été assez rapide : j'avais envie de changement, mon contexte personnel me permettait de prendre ce risque et j'avais le soutien de mes proches. Une fois la décision prise, il a fallu passer au concret : construire l'offre, monter le business plan, trouver les financements, réaliser les travaux… et enfin, ouvrir !
Comment avez-vous mené cette étude de marché ?
Je l’ai faite moi-même, et c'était compliqué en 2019 car le concept était encore très nouveau. Je me suis appuyée sur la grande étude sur les tiers-lieux publiée à cette période par la fondation Travailler Autrement, en essayant de transposer les chiffres à mon projet. Je suis aussi allée voir comment fonctionnaient d'autres espaces de coworking privés.
C’était une grosse prise de risque, et la condition de départ était donc de sécuriser le projet avec mon activité complémentaire. J’étais la première au Creusot, et je ne regrette pas !
Sur quels critères avez-vous choisi l’emplacement d’Univers CO ?
Je souhaitais ouvrir un espace de coworking dans une ville moyenne. Le Creusot était la ville idéale pour sa taille, mais aussi en termes d’accessibilité, avec une gare SNCF et une gare TGV qui nous relient à Paris et Lyon très facilement.
C’est une ville qui bénéficie également de la présence de grandes entreprises industrielles et de l’université. J’avais la possibilité d’y disposer d’un local qui correspondait dans sa configuration à la représentation que j’avais de mon projet, c’est-à-dire un lieu ouvert pour favoriser l’interconnaissance et la coopération.
Comment avez-vous conçu l’aménagement de l’espace ? Avez-vous des conseils à partager sur ce sujet ?
Ma formation d'ergonome m'a naturellement conduite à appliquer les principes de l'ergo-conception. En quelques mots, cela signifie imaginer le travail qui sera réalisé dans le lieu, en termes de besoins mais aussi de contraintes, pour ensuite proposer les aménagements et les equipments nécessaires.
Je me suis également basée sur mes recherches antérieures sur les facteurs de coopération, en essayant de les traduire dans l'aménagement : des espaces temps et physiques pour l'interconnaissance, et une animation qui incarne cet esprit collaboratif.
Le conseil que je pourrais donner, c’est de penser des espaces qui permettent à la fois d’être ensemble, mais aussi de pouvoir s’isoler en cas de besoin. Il faut aussi suffisamment d’espace pour chacun. Et bien sûr des équipements de qualité, avec les indispensables : de bonnes chaises ergonomiques.
Quels ont été les plus grands défis que vous avez rencontrés une fois l’espace ouvert ?
Le Covid ! J’ai ouvert Univers CO alors qu’on était dans l’obligation de porter des masques, ce qui n’aide pas pour la convivialité et la création de lien social que doit apporter ce type d’espace. On ne pouvait pas, à ce moment-là, partager un repas ou un café et il a fallu imaginer le lien social différemment.
Le deuxième défi était de faire connaître le concept dans une petite ville. Je savais que je devrais lever cette barrière ; malgré tout, cela a été plus long et plus compliqué que ce que je n’avais imaginé, car il a fallu me confronter aux représentations de la population que je ne connaissais pas forcément initialement.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ces réactions de la population ?
Le premier frein auquel je ne m’attendais pas, c’est que beaucoup de gens font la comparaison entre un loyer et une prestation de service telle que propose Univers CO. La première réaction au début est souvent « c’est trop cher », en comparaison avec un loyer. Or, ici, on n’achète pas un espace, on vient pour autre chose.
Les gens ont de grandes maisons dans la région, où ils pourraient télétravailler, mais ils viennent chercher autre chose, et mes clients sont d’une grande fidélité.
L’étonnement est souvent dans les réactions de la famille, des amis… « Pourquoi payer un espace ici alors que tu as de l’espace chez toi ? » Beaucoup de gens ne se représentent pas forcément l’immatériel qui est apporté.
Justement, vos clients, quels sont-ils ?
J’ai une clientèle beaucoup plus hétérogène que ce que je pensais au départ, et j'adore cette diversité qui permet de créer des rencontres.
Il y a d'abord les indépendants et les petites structures : consultants, commerçants qui viennent faire leur comptabilité et en profitent pour souffler, psychologues qui ont besoin d'un lieu de consultation, associations. J’ai également des professionnels qui réalisent des bilans de compétences.
Je reçois également des entreprises privées qui cherchent à réduire leurs coûts immobiliers. C'est le cas par exemple d'une agence d'intérim et d'une agence de sécurité qui travaillent pour un grand groupe industriel du Creusot.
Enfin, il y a les nomades : des personnes de passage, qui viennent voir leur famille dans la région par exemple, et prolongent leur séjour en travaillant chez Univers CO.
Comment animez-vous la communauté au sein d’Univers CO ? Quelles initiatives fonctionnent le mieux ?
Ma vision pour l'animation a beaucoup évolué. Au départ, j'avais imaginé proposer de nombreux événements avec des partenaires sur des thèmes très variés. J'ai tenté de le faire les deux premières années, mais cela n’a pas fonctionné, principalement parce que l'offre locale sur ces sujets est déjà très importante et parfois gratuite.
Aujourd'hui, j'ai recentré l'animation sur mes coworkers résidents. Je leur propose quatre rendez-vous mensuels : un repas, un afterwork, un atelier remue-méninges pour échanger sur un thème qu'ils choisissent, et une permanence de conseil gratuit avec des partenaires.
Pour toucher un public plus large, j'organise également une à deux matinales par an sur des sujets liés à mon activité de conseil (conditions de travail, organisation). Ces événements, ouverts aux entreprises du Creusot, fonctionnent très bien : ils regroupent 40 à 50 personnes et permettent de faire découvrir le lieu.
Les afterworks sont aussi des moments très appréciés pour se voir différemment. Les animations ont parfois un cycle de vie, il faut savoir se renouveler dans les propositions. Avec le temps, j'ai appris à recentrer mon offre sur des sujets professionnels plutôt que sur le bien-être. C'est plus lisible, mieux « marketé » et cela fonctionne bien.

Comment vos offres de location d’espaces ont-elles évoluées ?
Mon offre s'est simplifiée avec le temps. Au départ, elle était très large, mais j'ai rapidement retiré les formules qui ne fonctionnaient pas ou qui étaient trop compliquées à expliquer. Aujourd'hui, pour les résidents, les forfaits vont d'une journée par semaine au plein temps, avec un engagement mensuel.
J'ai aussi réduit certaines offres pour les nomades et ajusté certains tarifs, notamment à cause de la hausse des coûts de l'énergie. L'aménagement aussi a évolué. Un confrère gérant d’un espace en Normandie m'avait dit : « n’aménage pas tout d’un coup », et fais le par phases selon ta clientèle. C'est un excellent conseil.
Par exemple, un an après l'ouverture, j'ai recloisonné deux petits bureaux. Ce sont aujourd'hui les deux bureaux les plus utilisés ! Ils sont suffisamment grands pour des réunions à deux et moins chers que les grands. C'est comme quand on emménage dans une maison : on vit dans l'espace, et on le fait évoluer avec soi. D'ailleurs, j'adore bouger les meubles régulièrement, cela casse les habitudes et crée un nouveau souffle. L'espace d'accueil n'existait pas au début, et il est aujourd'hui devenu indispensable.
Vous utilisez le logiciel de gestion de coworking Desk pour votre espace : en quoi cette solution vous est-elle utile ?
L’utilisation de Desk me permet de toucher des clients que je n’aurai pas sans le logiciel, notamment les nomades qui ont l’habitude de faire leur réservation en ligne, le soir ou le week-end.
Desk me permet également de rendre les résidents autonomes sur leurs réservations. Cela offre une grande souplesse, et fait gagner du temps et de la réactivité à tout le monde ! Avant, c'était des e-mails, appels, SMS et un tableur Excel à la main. C’était artisanal !
Enfin, la sécurisation du paiement en ligne sur Desk est très importante pour moi.
Avec le recul, y a-t-il des choses que vous feriez différemment si vous deviez recommencer aujourd’hui ?
Je limiterais la partie animation à ce que je fais aujourd’hui, centrée sur le travail et ses conditions, et orientée entreprise et conseil. Cela m’a pris beaucoup de temps au démarrage sans avoir de retour positif, et la dispersion de la proposition noyait l’image de mon offre de conseil. Mais cette phase-là a peut-être été un passage obligé pour mener à bien le projet !
Enfin, quel est le conseil pratique que vous donneriez à une personne qui souhaite lancer ou reprendre un espace de coworking ?
Rester souple, à l’écoute du besoin de ses clients, sans se perdre. Cela veut aussi dire parfois : dire non !
